Retranscription numérique
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# Far-Earth (3048)
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Zalben venait à peine de franchir le portique du saloon, et déjà une tache d'huile de vidange se posa sur son nouvel imperméable de toile.
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Le "saloon"… Ces dernières années, les robots du coin étaient passés à la mode "western-spaghetti" et avaient transformé la vieille station à huile de Borderos en ce qui ressemblait effectivement à un saloon. Les robots y venaient toujours pour refaire le plein d'huile et ainsi entretenir leurs pièces mécaniques, mais ils étaient assez fiers du cachet que l'établissement apportait à leur petite ville.
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Et c'était également devenu le lieu favori des robots pour chercher la bagarre, malgré les protestations du tenancier. Quelle idée de continuer ce métier, si l'on n'était pas capable de supporter un peu de casse et quelques cris de robots faussement enivrés par la boisson.
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Zalben n'était pas de ceux-là. Au contraire plutôt discret, il était vaguement embarrassé par l'état de son imper. Mais ce jour-là, il était de fort bonne humeur, et pour ne pas laisser son petit tracas la gâcher, il cria à la volée :
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« Tournée générale ! C'est pour ma poche ! »
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Ça n'avait aucun sens : personne n'avait à payer sa consommation. Mais l'ambiance joyeuse de la salle et la soudaineté de l'annonce en ragaillardirent plus d'un, et chacun se sentit soulage de ne pas avoir à régler sa note. Plus tard, une étincelle dans le regard de certains montrera qu'ils prirent conscience de leur étourderie. Mais au moins, la bagarre cessa pendant une demie-journée.
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Zalben était fébrile. Il n'était pas du genre à se faire remarquer des autres, à part pour sa distraction, et un tel état d'excitation prouvait qu'il était d'une humeur particulièrement réjouie. Pourtant, si cela se remarqua sur le moment, les autres retournèrent bien vite à leurs préoccupations et nul ne chercha à savoir quelle mouche avait piqué l'énergumène.
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En fait, peu s'intéressaient aux activités de Zalben : il faut dire que le jeune robot faisait preuve d'une curiosité bien inhabituelle et passait son temps à fouiller les archives et les ruines qui peuplaient les strates sous la ville, plutôt que de participer aux activités auxquelles tous les robots s'adonnaient régulièrement comme déblayer, recycler, construire… toutes les tâches qui permettaient à la communauté de perdurer.
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Depuis quelques temps, sa nouvelle marotte était de découvrir les origines des robots, dont il faisait partie. Il s'était donné pour mission de lire, d'archiver, d'explorer et de comprendre l'Histoire de sa ville, de son monde, de ses congénères (ce qui n'intéressait personne d'autre : le passé ne faisait pas tourner les usines). Pourquoi les autres créatures qu'il rencontrait, à l'exception de ses semblables, étaient-elles faites de chair et de sang ? Pourquoi était-il de ces êtres entièrement synthétiques ? Pourquoi rien de ce dont ils avaient besoin ne pouvait se trouver à l'état brut dans un milieu naturel ?
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Vu son état d'excitation, il y avait fort à parier qu'il avait trouvé un début de réponse : les Hommes.
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Il n'en avait jamais vus, et aucun de ses pairs n'en avait jamais parlés, même les données les plus anciennes ne les mentionnaient pas. C'est en fouillant les ruines d'un ancien laboratoire, sous les fondations de la ville dans laquelle il "vivait", qu'il en découvrit les premières traces : un morceau de papier glacé sur lequel était figée une image –il découvrira plus tard que ce papier s'appelait autrefois "photographie"– où il pouvait distinguer des faciès humains ; et un vieux disque optique dont la surface était partiellement rayée, mais dont il réussit à lire quelques extraits. C'était un film… Il y découvrit des hommes qui, contrairement aux autres espèces du règne animal, semblaient doués de moyens de communication presque aussi élaborés que les siens, et capable de réactions bien plus complexes que celles qu'il avait pu observer chez d'autres créatures.
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C'est pourquoi Zalben s'était rendu au saloon : il venait de fêter son départ. Les autres n'en savaient rien, mais il venait de décider de partir. Il ne connaissait que la ville de Borderos et son bois, ceints d'un immense mur circulaire, et il soupçonnait le monde d'être bien plus vaste que sa paisible cité. Il sentait un besoin irrépressible d'en savoir plus. Et il saurait. Il trouverait toutes les réponses, à condition de quitter ces lieux où il avait toujours vécu.
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Il partirait donc de la ville, et ignorait s'il y reviendrait. De toute façon, les robots n'avaient que faire des attaches sentimentales. Zalben savait qu'aucun ne le regretterait s'il venait à disparaître. Toute de même. Ça valait le coup de tous les voir, une ultime fois peut-être, et d'essayer de marquer leurs "esprits" même si ce n'était que d'un souvenir fugace… le robot qui voulait payer sa tournée…
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De retour dans sa petite baraque, Zalben se prépara tranquillement pour le voyage : survivre au sable, à l'humidité ou aux changements de températures étaient des épreuves délicates quand on était composé d'électronique et de mécanique. De peur de tomber en panne, il prit quelques accus solaires avec lui, ainsi que quelques litres d'huile, au cas où les intempéries venaient à coincer ses articulations. Il se convrit d'un poncho (très tendance en ce moment, rappelons-le, mais surtout assez efficace pour se protéger de la poussière dont l'air était par endroit saturé et ainsi économiser déjà quelques gouttes de graisse), endossa sa guitare –il était aussi mélomane, et cet instrument le fascinait– et empocha son livre favori (un écrit sur l'archéologie que Zalben prenait plaisir à conserver sous cette forme au lieu d'une moins encombrante version numérique). Un dernier regard, un peu de vague-à-l'âme –en tout cas c'est ce que lui dictait son logiciel émotionnel– et Zalben fit les premiers pas vers la grande aventure. Peut-être reviendrait-il un jour, riche de nouvelles connaissances qu'il partagerait avec qui voudrait les apprendre.
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Il arriva donc devant le mur d'enceinte, après avoir soigneusement choisi une zone peu fréquentée, où son départ passerait inaperçu. Il n'avait encore jamais approché le mur d'aussi près, et il fut étourdi (dans la mesure du possible pour un robot) par l'immensité de l'ouvrage. Autrefois destiné à empêcher les habitants de sortir, les interdictions furent levées depuis des décennies, et les sentinelles à son sommet ne fonctionnaient plus. De mémoire de robot, jamais aucun n'avait tenter de quitter la ville, et pourquoi l'auraient-ils fait ? Ils y disposaient d'un bois où les animaux offraient aux robots un spectacle agréable et où ils pouvaient se fournir en matières premières –très rarement nécessaires puisqu'ils se recyclaient sans quasiment aucune perte–, chacun avait son habitation, des usines étaient présentes pour la fabrication et le recyclage des pièces et des huiles, une grande datathèque se dressait au milieu de la cité pour les robots assoiffés de connaissance, il y avait un robot réparateur qui prenait son métier à cœur, et enfin le fameux saloon où les plus hardis s'en donnaient à cœur joie pour se démonter et ainsi se faire réparer dans la bonne humeur, ce qui représentait l'activité la plus divertissante qui soit. Le reste du temps, les robots se contentaient de faire ce qui était nécessaire.
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En effet, depuis des années et des années jamais aucun n'avait cherché à partir, et les sentinelles, laissées à l'abandon, n'étaient plus entretenues.
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Désormais en panne, Zalben n'avait pas à les redouter, mais le mur lui-même était un obstacle tant il semblait infranchissable. Après quelques minutes d'hésitation et de déconvenue, il découvrit un pan de mur recouvert d'une forte végétation qui lui assurerait une bonne prise pour escalader, et entreprit l'ascension du mur. Malgré l'apparente difficulté que l'imposante taille de l'ouvrage laissait imaginer, il se rendit vite compte que la construction avait été prévue pour permettre le passage. Des marches, des escaliers et des couloirs étaient présents ça et là, et il fallut à peine plus d'une heure pour que Zalben atteigne le sommet et rejoigne la face extérieure.
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Le spectacle qui s'offrit à ses yeux le laissa immobile pendant quelques temps : des arbres à perte de vue, habités par des milliers d'oiseaux, de biches, de sangliers, d'ours, de lapins… des clairières multicolores parsemées de fleurs sauvages, des vallons, des lacs, une végétation si dense que l'on pourrait s'y noyer. Et au loin, les ruines de ce qui semblait être de grandes cités, maintenant en proie à la mousse et au lierre.
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La surprise passée, Zalben entreprit la descente de la façade extérieure. Le trajet ne présenta pas plus de difficulté que l'ascension, n'y eut-il quelques glissades à cause de la mousse, complètement absente de l'autre côté, et le droïde foula enfin l'herbe fraîche et moelleuse qui semblait tapisser l'intégralité de la surface visible jusqu'à l'horizon.
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Après quelques pas, Zalben rencontra la carcasse d'un robot : il avait dû réussir à franchir le mur mais aurait été rattrapé par les sentinelles. Pourquoi voulait-on alors empêcher les habitants de partir au point de les éliminer ? Qu'y avait-il donc à l'époque à protéger et qui valait la peine de mort ?
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Ces quelques considérations mises de côté, Zalben s'introduisit dans la forêt. Il y régnait une cacophonie de gargouilles, de bourdonnements et de râles, un fourmillement de couleurs et de mouvements, et, bien que chez les robots cette perception était primaire, Zalben pouvait déceler une multitude de particules parfumées. Il ne savait pas où aller, aussi avait-il décidé d'aller toujours tout droit en direction des ruines jusqu'à ce qu'il rencontre une nouvelle ville, voire des traces de civilisation humaine.
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Il finit par en trouver. Il s'était passées quelques longues heures depuis son entrée dans la forêt, durant lesquels il marcha nonchalamment, écoutant les chants des oiseaux, les accompagnant à la guitare –vous seriez surpris d'entendre les sons qu'un robot peut produire avec une guitare– ou observant des papillons dont les espèces lui étaient inconnues.
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Les ruines qui s'offraient à son regard, bien que rongées par l'oxyde et colonisées par le lichen, présentaient une structure semblable à celle du laboratoire où il avait pu récupérer les deux premiers indices qui l'avaient lancé à l'aventure.
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Bien qu'il se réjouissait de trouver de nouvelles traces de civilisation humaine. Zalben éprouva comme un regret : il avait voulu rencontrer un de ses représentants, mais des ruines n'en laissaient pas beaucoup l'espoir. Il ne se découragea pas pour autant : au moins pourrait-il trouver de nouveaux indices, peut-être des informations sur les origines des robots, ou pourquoi pas sur l'extinction des Hommes, si c'était ce qui avait eu lieu. Ainsi commença-t-il à explorer les vestiges de ce qui lui semblait être une grande ville.
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La première construction qu'il entreprit d'investir était une sorte de tour de verre bâtie sur une charpente d'acier, s'élevant sur presque une dizaine de mètres de haut, mais qui devait facilement en mesurer le double. Une fois à l'intérieur, il reconnut ce qui semblait être un hall d'accueil. Le vert-de-gris avait tapissé les murs, des racines d'arbres avaient traversé nombre de vitres, et certains insectes avaient installé leur nid dans la pièce.
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C'est au bureau de la réception que Zalben fit sa première rencontre avec un humain, et tout particulièrement ce qu'il en restait. Un squelette en costume trois pièces, maintenant rongé par les mites mais qui criait encore « je suis cher ! » était tranquillement assis et semblait faire la sieste, la tête lovée dans le creux de ses bras croisés sur son bureau. Une petite espèce d'oiseau avait élu domicile dans un de ses orbites, les os étaient noircis par le temps, la cage thoracique servait d'abri à une famille d'écureuils.
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Apparemment, les humains n'étaient pas plus grand que la majorité des robots, mais les robots choisissaient leur taille en fonction de l'activité qu'ils exerçaient. Zalben lui-même était un peu plus grand que la moyenne, et portait même un chapeau pour se donner un peu plus de stature.
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C'étaient de biens étranges restes qui se tenaient devant lui, dans une bien étrange position pour une bien étrange mort. On aurait dit que cette personne s'était assoupie pour ne jamais se réveiller.
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Un escalier se trouvait non loin de là, et Zalben, l'emprunta sans appréhension. Il arriva sur un étage composé de plusieurs bureaux, et ce fut le même spectacle qu'au rez-de-chaussée, si l'on faisait exception du nombre de dormeurs présents…
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